Contrairement aux idées reçues, la conscience n'est pas l'apanage de l'homme. Certains objets aussi ont une âme, une conscience, une force de détermination. Par exemple, la tartine de confiture a une conscience, un caractère bien trempé, surtout quand elle a du bol. Comment en être sûr ? Il n'y a qu'à observer ses derniers instants de vie. Car, pour le cas de la tartine de confiture, c'est bien au tout dernier moment, juste avant de se faire avaler, que l'on peut en être persuadé. Auparavant, elle vit sa vie de tartine sans grande exubérance, sans se faire remarquer, sans exprimer quelque signe qui la différencierait d'un mégot de cigarette ou d'un carburateur.
Ce n'est qu'au seul moment où elle est bien beurrée ou recouverte d'une confortable couche de confiture qu'elle prend conscience de son état de tartine. Et là, ça change tout !
Il vous suffit d'un petit instant d'inattention, d'un état de rêverie post-nocturne dans le brouillard qui vous colle aux neurones au moment du petit déjeuner matinal pour qu'elle en profite et vous échappe de la main : dans un spectaculaire vol plané, elle va s'écraser sur le carrelage de la cuisine, immanquablement du coté « beurré-confituré ».
Immanquablement de ce côté-là et pas du côté sec. C'est qu'elle est forte, la tartine ; jamais elle ne loupe son coup.
Et pour quelle raison de ce côté-là et pas de l'autre côté ?.... Pour laisser des traces, pardi !
Vouloir laisser un signe de son passage sur terre, n'est-ce pas cela, l'apanage d'un être pourvu d'une conscience ? L'idée de laisser un signe de soi après sa mort. La notion du temps, d'un avant, d'un pendant et d'un après.
L'avant étant le temps où l'on se fait tartiner, le présent étant celui du vol plané, l'après étant celui de la trace sur le carrelage, souvenir indélébile d'une tartine de confiture passée sur terre.
A priori, après son petit moment d'extase, la tartine s'apprête à subir de notre part une inconfortable succession d'actions : la mastication, puis l'ingestion et enfin la digestion.
Ces trois actions en ion pourraient passer pour une horrible torture pour la tartine. Détrompez-vous ! Le simple fait qu'elle sait pertinemment qu'elle a laissé une belle trace collante réjouit son âme de tartine et lui fait accepter la suite avec sérénité et abnégation. Une tartine se digère d'autant plus facilement qu'elle a laissé une magnifique signature bien poisseuse sur le sol de votre « chez-vous ».
Ne pas en être conscient vous fait perdre l'occasion d'être en parfaite symbiose avec une règle fondamentale de la nature : il faut toujours laisser un espace de liberté et d'expression à chaque être et chaque chose en ce bas monde. Ceci permet de s'élever au niveau de l'Harmonie Universelle. Et ça, c'est beau.
Libérons les tartines de confitures ; elles nous en seront éternellement reconnaissantes. Grâce à cela, nous nous ouvrirons, pour nous-mêmes et le reste de l'humanité, la voie éternelle d'une meilleure digestion. Amen !