J'imagine que, vous aussi, vous vous faite du souci pour cela. Je ne peux imaginer un seul instant que vous n'avez pas de problème de chaussette égarée. Que celui qui n'a jamais été confronté au « Grand Mystère de la Deuxième Chaussette Perdue » lève l'orteil.

Quelle est l'origine de ce dérèglement universel ? Chacun d'entre nous vit, le matin, de temps en temps, un petit drame existentiel : « Tu n'aurais pas vu passer ma deuxième chaussette ?  C'est pas croyable, elle est passée où ?»
A cela, pas une famille n'échappe. Même dans les foyers les mieux organisés, il y a, dans un coin de tiroir, sur une étagère, une, deux, trois... chaussettes célibataires.
Au moment où vous découvrez ces lignes, un bon dixième d'entre vous porte une paire de chaussettes dépareillées. Hélas, c'est la seule réponse pratique que la communauté humaine a trouvée à l'un des plus grand fléau du millénaire.

Si vous le voulez bien, étudions ensemble qu'elles pourraient être les causes rationnelles de ce phénomène. Pour cela, il nous faut distinguer deux types de disparitions : la disparition de chaussettes propres et la disparition de chaussettes sales.

La dernière fois que les chaussettes propres étaient ensemble, c'était dans la machine à laver quand elles étaient encore sales. Devenues propres, l'une disparaît. Pourquoi ? Comment ? Les machines à laver seraient elles dévoreuses de chaussettes, autrement dit chaussettivores ? Impossible, on retrouverait trace des déjections.

Sous le tambour de la machine, se trouverait un tiroir à double fond, trop petit pour avaler chemises et pantalons, assez discret pour ne se contenter que d'une chaussette à la fois ? Très vite le tiroir déborderait et la disparition de nouvelles chaussettes serait conséquemment interrompue. Ce qui n'est pas le cas.

Suivons les autres pistes empruntées par les chaussettes propres. Le passage dans le sèche-linge pourrait provoquer, avec la forte émission de chaleur, des évaporations de chaussettes. Oui, mais pourquoi une seule évaporation complète et totale et aucun début d'évaporation constaté sur d'autres pièces de lingerie ? Cela n'est pas concevable. D'autant plus que l'évaporation de chaussettes provoquerait des émanations d'effluves qu'il serait difficile d'ignorer.

Voyons du coté du fil à linge, vieille méthode qui a longtemps fait ses preuves et qui revient à la mode. Suspendues à tout vent, les chaussettes seraient à la merci d'oiseaux avaleurs de chaussettes ? Si c'est le cas, que font les chasseurs ? De mémoire d'homme, nous n'avons jamais vu de chasseurs revenir la gibecière pleine de chaussettes.

Cherchons ailleurs.
Une fois séchée, les chaussettes passent parfois par l'étape à repasser, que l'on dénomme aussi la table à repasser. Cette étape n'a court que chez les familles les plus maniaques, qui immanquablement devraient avoir repéré toute éventuelle disparition. Mais non, à ce stade, rien vu, pas pris, pas reprisé, rien à signaler.

Question insidieuse : que se passe-t-il, la nuit, à l'abri de nos regards, dans nos placards, dans les tiroirs de nos commodes, sur les étagères de nos armoires ? Des fêtes nocturnes pour lingerie fine ? Des défilés de mode sans mannequin ? Des bals de chaussettes où, juste avant les douze coups de minuit, la chemisette « Sans Nylon » se précipite dans le grand escalier d'honneur et perd une chaussette avant de s'engouffrer dans un carrosse doré ? Cela n'est pas possible ; on retrouverait des traces de citrouille.

Nous devons nous rendre à l'évidence : les disparitions de chaussettes propres restent un mystère.

Pour les chaussettes sales, notre enquête n'aboutit pas à de meilleurs résultats : nous avons parcouru forêts, landes et marécages à la recherche d'êtres maléfiques qui se nourriraient de chaussettes volées, des êtres malfaisants si petits qu'ils auraient un estomac trop étroit pour se resservir deux fois le même plat. De ces expéditions nocturnes, nous n'avons ramené que rhume et piqûres de moustiques.

Abandonnons ces pistes improbables et retournons à la source : l'homme. Ne serait-ce pas tout simplement lui le seul et unique responsable de ce fléau de la chaussette perdue ?

Nous avons étudié l'Ancien et le Nouveau Testament, l'encyclopédie universelle, Wikipédia et la boule de Madame Irma : pas la moindre petite évocation d'un événement historique qui serait à l'origine du grand mystère de la chaussette perdue. Cela nous permet donc de supposer que le phénomène a très probablement débuté par un micro événement non repéré par les observateurs de l'époque.

Nous avons donc constitué une équipe d'historiens chercheurs qui ont longuement travaillé sur ce phénomène. Et miracle, après plusieurs mois d'attente, nous venons tout juste de recevoir un message indiquant qu'ils ont enfin résolu l'énigme. Ils sont prêts à nous livrer leurs conclusions dans deux jours ! Auparavant, ils veulent s'assurer que ce sera bien vous, fidèles lecteurs de nos « déviations textuelles » qui aurez la primeur de leur découverte, avant toute parution dans les revues scientifiques et historiques. A priori, nous devrions être en capacité de vous livrer les résultats de cette recherche passionnante mercredi prochain. La seule chose que nous pouvons vous révéler à l'heure actuelle, c'est que cette étude pourrait révolutionner la vie quotidienne de l'homme moderne.

En attendant, nous ne pouvons que vous conseiller de rester discrets si vous marchez le pied droit fleuri avec le pied gauche à rayure !