C'est curieux, cette relation que beaucoup d'entre nous, femmes et hommes de bons sens, entretenons avec nos animaux domestiques. Nous leur faisons la conversation comme s'ils étaient en capacité de nous répondre mais en plus nous avons parfois la sensation qu'ils nous répondent vraiment.
« Alors, mon gros Pépère, tu veux tes croquettes ? Voilà, voilà, ça arrive. »
Avez-vous entendu le « Gros Pépère » répondre « Ah merci ! Ça tombe bien, je commençais à avoir une petite dalle, moi ! » ?
Ou bien « Mais oui, mon Kiki, je vois bien que tu as envie de faire ton pipi. Attends un peu, j'enfile mon ciré et on va faire un petit tour. » Et le « Kiki » de répondre « Ah super. Par contre, moi, j'y vais comme ça, sans botte et sans ciré. D'accord ?».

Je ne sais pas pour vous, mais moi, à chaque fois, je n'entends que la question et jamais la réponse.

Nous attribuons plein de qualités à nos animaux de compagnie, ils le méritent sans doute, ils ne sont pas bêtes, ce sont nos amis. Alors pourquoi les infantilise-t-on ? Je ne sais pas ce qu'ils en pensent, eux, les « Mon Pépère », « Mon Kiki », « Ma Doucette » ? Je ne suis pas certain que les concernés, nos amis les bêtes, sont tous d'accord avec le principe.

Prenons un exemple.
Connaissez-vous Pipou ? Ça m'étonnerait bien, c'est le chat de la maison. Il a plein de poils tout blancs, il en met partout et il passe sa journée à roupiller. De temps en temps, il se bouge pour faire le plein de croquettes. Les souris peuvent faire la fête. Rien à craindre : entre sieste, bâillements, croquettes et re-sieste, Pipou a des journées bien occupées.

D'après Alette, ma chère et tendre, c'est le chat le plus intelligent du monde. Moi, Yvain, j'observe le phénomène depuis huit ans et je n'en suis pas tout à fait persuadé. C'est un chat sympa ; là-dessus, je n'ai rien à dire. Il ronronne dès qu'on le tripote et ses ronronnements sont de très beaux ronronnements. Il faut dire que quand Alette le tripote, elle le fait consciencieusement, avec application et doigté. Que Pipou réponde à ses caresses par de beaux et généreux ronronnements me semble un minimum. Par contre, je n'ai toujours pas réussi à détecter la moindre nuance, la moindre inflexion dans sa façon de ronronner, un petit son qui pourrait vouloir dire autre chose que « Ouais, c'est bien, continue, oui là, encore, gratouille-moi la couenne, j'adore ». Ce n'est pas faute d'essayer. Mais rien de rien. Alette si.

Pipou, quand on lui parle, ça lui arrive aussi de miauler. « Tu entends ? » me dit Alette, « Il nous répond à sa façon. C'est quand même INCROYABLE ! ».
Qu'un chat miaule, c'est plutôt pas mal. « Incroyable ! », je n'irai pas jusque là.

Pipou a la particularité de refuser de boire dans un bol. Il faut que l'eau coule en petit filet d'un robinet. Notre cher véto nous dit que c'est normal ; c'est l'apanage de certains chats qui ne boivent que de l'eau vive. Pour moi qui évite de laisser couler le robinet quand je me brosse les dents, ça agace.
Mais Pipou miaule si gentiment pour me le demander que je ne peux que craquer. Alors il saute majestueusement sur la tablette du lavabo, tourne la tête vers moi et fait un semblant de miaulement qui veut sans doute dire « Alors, tu me l'ouvres, ce robinet ? J'ai soif, moi. » Dès que Pipou entend le filet d'eau couler, il se passe alors un phénomène étonnant qui me laisse à chaque fois sceptique sur son intelligence supérieure.
Au moment où il tourne la tête pour se pencher vers le robinet, il se retrouve face au miroir. Et là, il se voit dans la glace ou plutôt il y voit un copain, au poil tout blanc qui s'apprête comme lui à boire au robinet. Pipou étant un chat bien élevé suspend son geste et attend que le copain en question se mette à boire avant lui. C'est sympa pour le copain. Sauf que le chat dans la glace se dit exactement la même chose et attend lui aussi. Du coup, Pipou se décide à se pencher vers le robinet, pile au moment où son compère se penche aussi.  Pipou, trop poli, relève aussitôt la tête et miaule à son pote de l'autre coté du miroir « Vas-y, je t'en prie, tu es l'invité ». Visiblement, l'invité semble dire au même moment «Non non, à toi la priorité, c'est toi le chat de la maison ! » Pipou ferme alors les yeux et se penche vers le robinet puis se met à laper, à laper, à laper... C'est mignon, avec sa petite langue rose, c'est mignon, mais ça dure, ça dure.... Il prend son temps, le Pipou. Quand je songe au nombre de verre à dents que j'aurai pu remplir pour me rincer les dents, je me dis que ce n'est pas très écolo, tout ça. Cette attitude féline prouve que les chats n'ont pas encore conscience du gaspillage et de l'avenir de la planète.
Je vois aussi que Pipou, sans s'arrêter de boire, jette de temps en temps un petit coup d'oeil vers le miroir et est rassuré de voir que son copain boit en même temps que lui au même robinet. A cet instant, une question me taraude. Si cela le rassure, c'est peut-être qu'il sait pertinemment que, à deux, cela fait moins de gaspillage et que c'est bon pour l'avenir de la planète. Brave Pipou ! Il n'est pas si bête que ça, notre Pipou.
Par contre, je n'ai pas envie de lui expliquer le coup du miroir. Si je ne le fais pas, c'est pour son bien. Il perdrait dans la même minute la conscience de son engagement écologique et son copain de tous les matins.

Quand je dis que Pipou est un chat casanier attaché au confort de coussins moelleux, je dois lui rendre justice. C'est en vérité un chat qui adore le changement, un aventurier à sa façon. Il n'hésite pas à tenter une ascension périlleuse en attaquant la face nord de la banquette du salon pour y installer un nouveau bivouac. Il se jette dans le vide la tête la première, poils au vent, dans un magnifique plongeon carpé, de la hauteur vertigineuse d'un accoudoir de fauteuil vers une carpette aux poils bouclés. Et là, il peut rester une journée entière, impassible, stoïque et admirable, à guetter l'imminence d'un danger, les yeux fermés, pour mieux sentir l'inévitable moment où il devra repartir à l'aventure, poitrail offert à l'adversité. Je suis tout aussi admiratif lorsqu'il scrute le tombé des rideaux de la fenêtre, repérant de son oeil aguerri les prises qu'il pourrait utiliser pour une fantastique escalade sur paroi verticale. Une fois l'observation exécutée avec minutie, il fait preuve de beaucoup de prestance lorsqu'il s'allonge sur le tapis au pied du rideau, dans une pose alanguie, qui, ne nous fions pas aux apparences, cache très bien son intense réflexion pour mieux préparer sa prochaine ascension. C'est la version « pipouesque » d'un film des années soixante qu'il rebaptise à sa façon « L'aventure, c'est la tenture ».

En résumé, il y a probablement beaucoup de mimétisme entre un chat ou un chien et son maître ou sa maîtresse.
Pipou doit vouloir m'imiter quand je passe une heure intense consacrée au sport de haut niveau... au moment où j'analyse les commentaires des matchs de foot de la veille, dans le journal, bien installé dans le fauteuil près de la cheminée. Il doit observer Alette avec autant d'intensité quand elle se plonge à corps perdu dans la lecture haletante d'un roman d'action et qu'elle en tourne fébrilement les pages au rythme d'une toutes les minutes, dans un froufroutement de papier hypnotisant. Il doit regretter de ne pas pouvoir passer plus de temps avec son copain du miroir quand il voit nos deux filles rester papoter une bonne heure et demie dans la baignoire, au milieu d'un nuage de buée digne des vapeurs de souffre du sol volcanique islandais.
A la vue de tout cela, Pipou soupire et se dit qu'une petite réincarnation ne serait pas de refus.
Par contre, il fait le dos rond lorsque l'agitation de la maison lui prouve que le quotidien des êtres humains est souvent fait de frénésie, d'actions, d'accélérations et de beaucoup trop d'autres mots en ion. Alors, il se dit que la réincarnation, ça ne presse pas, parce que la vie de chat est un doux dialogue avec les coussins, les tapis, les carpettes, un dialogue intense qu'il n'est pas prêt à abandonner, parce que, lui, sans blague, il a encore beaucoup, beaucoup, beaucoup d'histoires d'aventure à leur raconter. Parole de Pipou !

DROIT DE RÉPONSE :
C'est moi Pipou. Je prends la parole pour rétablir quelques petites vérités. Je suis officiellement le chat d'Alette et Yvain. Enfin, c'est ce que je leur laisse croire. Je suis en fait mon propre chat, mon « chat moi » comme on dit en psychanalyse. Ils sont touchants, la Alette et le Yvain, quand ils veulent me parler et qu'ils attendent une réponse. Ouh ouh il faut se réveiller, les gars, les filles, je suis un chat ! Darwin, ça vous dit quelque chose ? La théorie de l'évolution ? Vous les hommes, vous avez le langage, l'écriture et... la télé. Nous, les animaux, on en est au tout début. Mais vu ce à quoi ça vous mène, vu ce que vous en faites, nous ne sommes pas pressés. Alors restez gentils et ne nous prenez pas pour plus bêtes que l'on est. Et s'il vous plait, un petit message personnel : arrêtez une fois pour toute de donner votre langue au chat !